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Racines
12 août 2011

Chronique film : Melancholia

de Lars Von Trier.

Lars Von Trier ne va pas bien, on s’en doutait un peu (je sais, je l'ai déjà dit pour Antichrist). Mais dans Melancholia il nous l’assène haut et fort, nous l’expose avec lyrisme, puissance et dévastation. Il choisit pour cela de s’incarner dans deux soeurs, la blonde et lumineuse Justine, la brune et sérieuse Claire.

melancholia2nbAprès un prologue esthétiquement wagnérien et sublime, dans lequel des planètes se tournent autour avant de se percuter, et dont on ne sait trop s’il est ridicule ou grandiose, Lars Von Trier se concentre sur l’histoire de ces deux femmes. Unité de lieu, le film se déroule entièrement dans la magnifique propriété, accompagnée de son golf 18 trous, du richissime mari de Claire. Dans la première partie nous suivons principalement Justine. Elle se marie en grande pompe avec un jeune homme bien sous tous rapports. Claire a organisé la fête du mariage avec sérieux et rigueur. Mais Justine et son mari sont en retard, la faute à cette limousine trop longue qui n’arrive pas à franchir les virages du chemin d’accés à la propriété. Dans cette introduction joyeuse, se dessine déjà le drame qui se jouera plus tard, l’incapacité de Justine (que son neveu appelle d’ailleurs Aunt Steelbreaker, Briseuse d’acier) à arriver jusqu’au bout de ce qu’elle essaie d’entreprendre. Pourtant à ce moment là, on ne se doute de rien, le sourire de Justine camoufle parfaitement la maladie qui la ronge. Ce n’est qu’au cours du repas de mariage, après les interventions d’un père inconséquent qu’on croirait tout droit sorti d’un roman russe, et d’une mère intransigeante et provocatrice que le spectateur comprend que derrière la joie de façade, se déroule un drame intime en Justine, et que ce drame intime atteint également ses proches, qui préfèrent soit fuir (le père), soit mettre des barrières mentales avec Justine (la mère), soit essayer de ramener Justine à la raison (la soeur).

Mais on ne peut pas ramener Justine à la raison, et on ne peut pas fuir son mal, comme elle-même ne peut y échapper. Ce mal, c’est la mélancolie. Pas la mélancolie romantique, le soleil noir de De Nerval, ce sentiment d'une tristesse vague et douce, dans laquelle on se complaît, et qui favorise la rêverie désenchantée et la méditation. Mais la mélancolie dépressive et suicidaire, si profonde, et si dévastatrice que rien ne peut la soulager, et dont rien ne peut freiner l'avancée inéluctable. C’est cet état morbide caractérisé par un abattement physique et moral complet, une profonde tristesse, un pessimisme généralisé, accompagné d'idées délirantes d'autoaccusation et de suicide. Mais en fait d’idées délirantes, le mal de Justine se matérialise sous les traits de Melancholia, une planète errante, “en transit”, dont la trajectoire pourrait bien croiser celle de la Terre.

Démarre alors la seconde partie du film, baptisée Claire, et durant laquelle, pendant que Justine se remet des événements qui se sont déroulés pendant sa fête de mariage, Claire voit s'effondrer le monde qu’elle a pris tant de peine à construire. L’arrivée de la planète n’est pas une surprise pour la mélancolique Justine, dont le mal n’est sans doute qu’une incapacité à se bercer d’illusions, à filtrer le réel pour le rendre moins cruel. Plus elle sent la fin approcher, plus elle semble sereine. C’est la fin de ses tourments, mais aussi la fin des tourments du monde, et de la vie. Pour Claire au contraire, tout s’effondre. Elle qui a toujours tout contrôlé, pour se bâtir une existence parfaite, et pour protéger son enfant, se retrouve dans l’incapacité de maîtriser quoi que ce soit.

melancholia3nbOn est, il faut bien l’avouer, scotché par l’énormité de la métaphore : une planète baptisée du même nom que la maladie dont souffre Justine, et qui va matérialiser les pensées les plus sombres de la jeune femme. Mais cette énormité est également renversante de puissance. Tout comme les sentiments de Justine, l’arrivée de la planète est incontrôlable, et le mal se propage à tous et toutes. La fin (une scène colossale) est bien sûr inéluctable et généralisée, la destruction totale non seulement de la planète mais également et surtout du concept même de la vie. Je ne sais pas si quelqu’un a déjà été aussi loin dans le nihilisme et la pulsion de mort que Von Trier ose le faire dans Melancholia.

Le paradoxe du film est qu’il est sans doute à la fois le plus facilement lisible de Von Trier, maître absolu de l’entourloupe cinématographique, et pourtant le plus personnel et sincère. Pas étonnant qu’aujourd’hui le réalisateur soit à deux doigts de renier son film, qu’il clame haut et fort qu’un autre aurait tout aussi bien pu le réaliser. C’est bien entendu totalement faux. Personne d’autre que lui n’est capable de dévoiler de la sorte l’insondable noirceur de son psychisme, la profonde souffrance qui le consume.

Le fait que Melancholia ait été présenté en même temps que The Tree of Life à Cannes, est une incroyable coïncidence, tant on a l’impression de voir deux conceptions diamétralement opposées de la vie. Terrence Malick et Lars Von Trier utilisent pourtant des symboliques et des processus quasiment similaires, mais dans des buts fondamentalement différents. Là où les planètes de Malick avaient la rotondité de ventres de femmes enceintes et présageaient de l’espoir de la vie, les astres de Von Trier se percutent dans un cataclysme grandiose, mettant un point final à tout espoir de vie. Là où Malick cherche la rédemption de l’homme dans un principe vital né de la communion entre l’homme, la nature et les éléments, Von Trier voit la destruction de ce principe par les astres même qui ont permis sa création. Mais au-delà de ces divergences de fond, les deux hommes partagent une vision du cinéma comparable, mêlant lyrisme et intimité, et surtout une capacité propre aux plus grands, la capacité à révéler les choses en seulement quelques secondes de film, par le pouvoir absolu de l’image et de la mise en scène. Et dans les deux films, c’est une scène de repas qui est le catalyseur du drame. Dans The Tree of life, après un prologue paradisiaque, les fêlures sautent aux yeux du spectateur en une fraction de seconde : l’autoritarisme du père, la souffrance des enfants, la schizophrénie d’une éducation incohérente. Dans Melancholia, le processus est identique, et ce sont les failles de Justine qui sont révélées.

On peut également souligner le rôle fondamental de l’image dans Melancholia, comme il l’était également dans Super 8. Mais quand J. J. Abrams utilise les images pour dénouer les fils de son intrigue, et en fait un moteur pour la renaissance de son héros, Lars Von trier les utilise comme éléments d’un délire obsessionnel et morbide, comme représentations figées et prophétiques d’une destruction inéluctable.

MELANCHOLIAnbEt puis il y a cette lumière absolument incroyable, qui a séduit, au gram dam du réalisateur même ses plus fervents détracteurs. Tout le film est baigné d’une noirceur insondable, que vient juste souligner une lumière de fin du monde indescriptible, à la fois chaude et froide, verdâtre et mordorée. C’est un éblouissement visuel représentant une lutte entre la vie et la mort, à l’image de la chaude lune et de la glaciale Melancholia qui cohabitent l’espace de quelques heures dans le ciel nocturne.

Sublime et désespéré, grandiloquent et sensible, Melancholia est un film paradoxal, inquiétant, ravagé, agaçant, qui hurle à la face du monde l’infinie souffrance de vivre, cette souffrance qu’il est de bon ton de taire et de camoufler pour sauver les apparences. Mais les apparences, Lars Von Trier n’en a jamais eu rien à faire, et il le prouve encore ici, dans son film sans doute le plus plastique, mais aussi le plus personnel.

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Commentaires
A
Jeffff : vous aviez été spammé, désolée. Merci pour votre commentaire, qui est en fait plutôt une pub pour votre blog, nan ? j'me trompe ? Allez, sans rancune.
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A
Djiwom : Un genre cinématographique nouveau, oui, sans doute, je ne sais. Mais oui, sur le cul, je continue à l'être un mois après :-)
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J
Melancholia de Lars von Trier<br /> <br /> Le traitement de la fin du monde par Lars von Trier ne laisse pas indifférent. S’éloignant des blockbusters, il traite le sujet en lui donnant le goût d’une fable poétique et dramatique.<br /> Après une introduction exhalant un romantisme teinté de morbide, l’humeur de notre héroïne, Kirsten Dunst, se délite au fur et à mesure que la menace se précise. Elle tente bien de donner le change devant les invités de son propre mariage mais finalement la dépression la submerge. Le couple naissant n’y résiste pas et le flot de sa douleur emporte le bonheur convenu. La dépression est la plus forte comme cette planète, Melancholia, qui exécute un dangereux pas de deux avec la terre.<br /> Mais la terre n’est pas la seule victime, la raison aussi sort vaincue de ce menuet. Le gendre, scientifique aux certitudes bien campées, et qui incarne ici la raison, fini par être vaincu dans cette danse lascive entre les planètes. L’intuition de sa belle-sœur est bien plus clairvoyante que les certitudes du monde scientifique. Il est vrai que le réalisateur fait dire à l’héroïne qu’il n’y a rien attendre de la vie car « ici tout est mauvais ».<br /> Le film est subtilement rythmé par un montage prenant le partie d’une caméra alternant des plans fixes ou à l’épaule, suggérant la quiétude ou la menace.<br /> Dans ce monde ou les faux semblants alternent avec le désespoir, le malheur comme le bonheur bégaient. Le refuge se trouve alors dans le règne du monde animal, incarné par des chevaux, qui a l’approche du dénouement final s’apaisent, et dans la nature – apparemment paisible - mais tout aussi inquiétante. On peut évidemment être gêné par le nihilisme apocalyptique de l’auteur. Ame sensible s’abstenir.<br /> L’attitude de la mariée, « insensée » aux yeux de notre scientifique, préfigure en fait le destin de tous. En nous confrontant à l’expérience d’une mort certaine, il fait appel à notre humanité, et nous invite à livrer les clés de la vie.<br /> Mais pour Lars von Trier, il semble qu’elle n’ait pas d'issue, au final : le manoir est un linceul d’où personne ne peut s’échapper (ni à cheval ni en voiture). Malgré quelques sursauts, la fatalité d’un destin tragique domine. Et dans le plan final, à la beauté cruelle et frappante, il finit d’achever sa démonstration d’un cinéma dans la pleine puissance de ses moyens et dans le constat désabusé du monde. Beau film à la beauté vénéneuse.<br /> <br /> Melancholia<br /> Date de sortie cinéma : 10 août 2011 <br /> Réalisé par Lars von Trier<br /> Avec John Hurt, Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg<br /> Long-métrage français, danois, suédois, allemand.<br /> Genre : Science-fiction, Drame<br /> Durée : 02h10min<br /> Prix d'interprétation féminine : Festival de Cannes 2011<br /> Synopsis : À l'occasion de leur mariage, Justine et Michael donnent une somptueuse réception dans la maison de la soeur de Justine et de son beau-frère. Pendant ce temps, la planète Melancholia se dirige vers la Terre...
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D
Et sur le cul...<br /> Tu fais très bien de rapprocher TREE OF LIFE et MELANCHOLIA. Je n'ajouterai rien à ton très beau papier seulement qu'au delà des histoires qui s'y trament, j'ai eu l'impression de voir naître en ces deux films un genre cinématographique nouveau. Et c'est un sentiment assez chouette.
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A
Didier : oui, moi aussi, et sans migraine, ce serait mieux :) Merci d'avoir partaér ton sentiment sur ce film.
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